Une carrière enrichissante et marquée par la discrimination au travail
Originaire d’une région éloignée, j’ai quitté ma ville natale à 16 ans pour étudier les Techniques policières au Cégep d’Alma. Aujourd’hui, dans la fin de ma quarantaine et retraitée depuis deux ans, je considère avoir eu une carrière enrichissante, où j’étais définitivement à ma place… enfin, surtout dans la rue, aux côtés des victimes et des suspects. Avec certains confrères, et surtout la chaîne hiérarchique, c’était une autre histoire.
À tel point que, si c’était à refaire, je choisirais peut-être une autre voie. Curieusement, à la fin des années 90 et au début des années 2000, ni mon genre ni mon orientation sexuelle n’ont été des obstacles dans les forces de l’ordre.
Peu subtiles, les discriminations au travail auxquelles j’ai fait face se sont avérées beaucoup plus « basiques ».
Rouquine : des jugements superficiels dans un environnement professionnel
Naturellement rousse, j’ai longtemps eu du mal à apprécier cette particularité. Les enfants peuvent être cruels, et j’ai récolté mon lot de surnoms péjoratifs. Heureusement, tout s’est calmé une fois arrivée au cégep. Ma couleur de cheveux est devenue une singularité que j’ai appris à aimer.
Un jour, au moment où je m'en attendais le moins, mon lieutenant m’a demandé, avec toute l'arrogance dont il était capable, pourquoi je teignais mes cheveux en orange. J’ai eu un moment de bug complet : cerveau hors service ! Un exemple flagrant de discrimination au travail basée sur des jugements superficiels, et qui, franchement, ne rehausse pas le prestige de la fonction.
Tatouée : entre discrimination policière et reconnaissance des citoyens
Mes voyages au début des années 2000 m’ont révélé une culture où policiers et pompiers américains arboraient fièrement des tatouages. À l’époque, je n’avais pas encore eu le courage de les assumer à des endroits visibles. Grâce à ma passion pour les voyages, je me suis convaincue peu à peu ; une demi-manche, puis deux, qui se sont transformées en deux manches complètes.
Le premier tatouage symbolique que j’ai choisi illustrait mon appartenance à la police : une tête de mort coiffée d’un képi, avec des menottes en ornement et une banderole « Protect and serve ».
Pourtant, mes tatouages ont dérangé ma hiérarchie. Mon sergent m’a demandé de couvrir mes bras, même en été. Ce jugement basé sur l’apparence reflète bien une forme de discrimination policière, où l’image prime sur l’efficacité.
Pendant que ma direction semblait obsédée par l'apparence de mes avant-bras, les citoyens, eux, étaient fascinés. Certains complimentaient mes choix, tandis que des voyous se confiaient plus facilement, créant un lien inattendu entre nous.
Sourde : quand le capacitisme devient un obstacle professionnel
Le capacitisme, c’est la discrimination ou les préjugés envers une personne en raison de son handicap ou de sa différence physique ou mentale. Il peut se manifester par des attitudes condescendantes ou par un refus d’adapter un environnement ou des conditions de travail.
À la fin de la trentaine, ma perte auditive m’a contrainte à porter des appareils auditifs. J’ai mis en place des stratégies compensatoires et expliqué à mon équipe comment m’aider : éviter les bruits inutiles, me parler en me regardant. Ce que chacun.e a pris soin de mettre en place.
Pour leur part, mes supérieurs ont vu ma condition comme une gêne administrative ; ils devaient mettre en place les recommandations des ressources humaines. Les remarques insidieuses se sont multipliées, renforçant ce capacitisme au sein de mon environnement de travail.
Le sommet de l’absurde ? Ma lieutenante m’a assignée à un bureau juste à côté de l’imprimante centrale, utilisée par une trentaine d’enquêteurs. Après avoir souligné l’absurdité de cette décision, j’ai été relocalisée dans un local condamné depuis longtemps en raison de son insalubrité. Froid l'hiver et étouffant l'été, en plus d'être sur un étage différent de mes collègues, on m'a dit qu'au moins là, j'aurais la paix.
Retraitée, et libre
Finalement, ma surdité a été jugée "incompatible" avec mes fonctions d’enquêteuse. À 46 ans, après 24 ans de carrière, j’ai décidé de prendre ma retraite.
Avec du recul, je crois que mes tatouages et ma condition médicale ont servi d’excuses à ma hiérarchie pour m’écarter.
C’était la forme ultime de discrimination au travail, où des préjugés prennent le pas sur l’expérience et les compétences.
Aujourd’hui, je ne regrette rien. Après une carrière dédiée à aider les autres, je refuse de rester dans un milieu où je ne suis pas respectée.
Aujourd’hui, je suis libre.
Rédigé par Marie-Chantal Tanguay.
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